Au moment où le monde entier fait face à une récession généralisée, qui a un impact direct sur les économies de la région, beaucoup de responsables du monde arabe se sont contentés de rassurer leurs populations en affirmant qu’elles sont épargnées par la crise financière mondiale. En effet, deux éléments majeurs ont poussé les pays arabes à briser le silence et à se comporter sérieusement face à la crise financière mondiale. En premier lieu, les pertes énormes enregistrées dans les bourses arabes, notamment dans les pays du Golfe, après des semaines de cauchemar. La presse a rapporté que, durant le mois d’octobre 2008, les sept marchés financiers du Golfe ont perdu au total plus de 160 milliards de dollars en une semaine. Ces pertes, qui s’ajoutent à d’autres pertes énormes enregistrées dans les placements des pays arabes à l’étranger, ont provoqué la panique suite aux répercussions négatives de ce grand «manque à gagner» sur les grands investissements récemment engagés dans la région et toutes les activités liées à ces marchés.
La chute spectaculaire des prix du pétrole est le deuxième élément qui a provoqué la panique chez les pays arabes. Après le pic historique du 147,50 dollars pour le baril, enregistré le 11 juillet 2008, le prix de l’or noir a perdu plus de 65% de sa valeur en trois mois, soit près de 100 dollars pour chaque baril vendu. Durant le mois d’octobre dernier, le baril a été vendu à moins de 50 dollars. Cela représente un véritable séisme financier pour ces pays, surtout quand on sait que, les économies de certains pays arabes sont dépendantes des hydrocarbures. Ainsi, il semble que cette nouvelle donne a sonné le glas de l’embellie financière générée par la flambée des prix du pétrole durant plus de 7 années consécutives, et qui a permis à beaucoup de pays arabes de lancer des investissements, initier de grands projets de développements et cumuler des réserves de change importantes. Il est évident, qu’avec un baril à 50 ou 60 dollars, ces pays ne pourront pas garder une dynamique similaire à celle enregistrée lorsque les prix ont atteint 147,50 dollars. Pis encore, beaucoup de spécialistes prévoient un marché pétrolier à des prix vers une tendance descendante durant les deux à trois années à venir, vu la baisse sensible de la demande mondiale sur les hydrocarbures. Ce qui implique une baisse sensible, et dans certains cas le manque de liquidité pour les pays concernés.
A titre d’exemple, l’Algérie a mis en place un programme d’investissement public de plus de 200 milliards de dollars depuis 1999. Mais vu l’ampleur de cette crise économique mondiale, beaucoup d’économistes évoquent le «risque de compromettre la réalisation du programme d’investissement lancé par les gouvernements», une crainte qui a amené d’autres spécialistes à «suggérer le report de certains programmes d’équipement des principaux acteurs économiques publics», et aussi «d’arrêter l’inscription de nouveaux projets d’investissements». Mais le premier ministre, Ahmed Ouyahia, ne veut plus prêter une oreille attentive aux conseils des spécialistes en déclarant, fin novembre dernier, que le gouvernement a l’intention de poursuivre son programme d’investissement! « Dans le monde on parle de ralentissement, en Algérie, le gouvernement a l’intention de continuer la dynamique des investissements, même si les experts ne seraient pas d’accord avec moi » a déclaré Ouyahia aux journalistes. Et il a ajouté : « Les affaires sont rares aujourd’hui, mais il y a 200 milliards de chiffres d’affaires à réaliser (en Algérie)».
Il est difficile de prendre les propos d’Ouyahia comme un signe d’optimisme béat basé sur des données économiques fiables. Dans un pays dépendant pour 97% des recettes d’exportation des hydrocarbures, la chute sensible des prix de ces derniers ne pourra qu’aggraver la situation d’une économie peu productive et mono exportatrice. Certes, le pays dispose de réserves de change importantes soit 136 milliards de dollars à fin octobre 2008 (selon la banque d’Algérie) garantissant quelques trois années d’importation. Mais une baisse sensible des prix des hydrocarbures pourrait remettre en cause ce programme d’investissement et entraîner par là même une baisse des réserves de change. Néanmoins, cette période caractérisée par un dollar fort face à l’euro, ne peut être que bénéfique pour l’Algérie, grand importateur des produits alimentaires et industriels, qui impliquera une légère diminution de sa facture d’importation.
Même notre voisin de l’ouest, le Maroc, qui dispose d’une situation économique différente de l’Algérie, n’est pas épargné. Pour cause, le Royaume chérifien risque d’être contaminé par la «maladie» qui frappe, actuellement, l’économique mondiale, malgré l’optimisme affiché par plusieurs responsables de ce pays. Le ministre marocain de l’économie, M. Salaheddine Mazouar a déclaré récemment que «Le Maroc regorge d’énormes potentialités qui lui permettent de maintenir le rythme de croissance et de création de richesse». Mais des experts commencent à parler déjà des premières retombées négatives, dont la faible demande des partenaires européens sur la production marocaine, qui va se répercuter sur le développement des secteurs concernés, l’emploi et la croissance. Notons que le Maroc, à l’instar d’autres pays arabes importateurs d’énergie, peut bénéficier, dans l’immédiat, de la baisse des prix des hydrocarbures mais il sera toujours confronté à d’autres types de problèmes liés à la crise financière mondiale, notamment la baisse de la demande sur ces produits et une réduction des investissements étrangers directs. La Tunisie, elle aussi, peut voir ses recettes tirées d’un secteur touristique vivant, revues en baisse, en raison d’une diminution inévitable de la demande, essentiellement européenne.
Les autres pays arabes, comme les monarchies du Golfe, qui tirent plus de 80% de leurs revenus comme recettes des exportations des hydrocarbures, seront confrontés à des problèmes de liquidité qui vont freiner les grands projets d’investissements lancés ces dernières années. Mais ces pays dégagent toujours des excédents dans leurs balances commerciales, vu leur situation démographique qui est totalement différente de celle de l’Algérie, du Maroc, ou de l’Egypte. Ces dernières risquent, si la crise perdure, de rencontrer des difficultés dans la satisfaction des besoins de leurs populations. Cela nous amène à noter que les économies arabes se diffèrent d’un pays à l’autre, et ne représentent pas un bloc économique unifié à l’instar des pays de l’Union européenne. Mais les économies de la région se caractérisent par une dépendance de plus en plus importante de l’importation, notamment des produits alimentaires, agricoles, industriels et de la technologie, un taux de chômage plus élevé, et une faible participation des femmes à la population active, qui y est de 30% : la plus faible au monde, selon les rapports de la banque mondiale, sans oublier la fragilité des économies de la région, dont un certain nombre sont peu intégrées dans l’économie mondiale. (Certains pays tardent jusqu’à présent à adhérer à l’OMC).
Généralement, les économies arabes sont peu compétitives, peu productives, et restent dépendantes des importations provenant de l’étranger. Certains pays, comme la Jordanie, le Yémen, le Maroc et l’Egypte, dépendent d’aide étrangère et de la «générosité» de certains pays arabes riches. La tentative de former une économie en dehors du pétrole, comme a essayé de le faire l’Arabie Saoudite, ou beaucoup moins l’Algérie, demeure loin des attentes. De ce fait, nous sommes toujours face à des économies fragiles, rentières, et des pays mono-exportateurs, chose qui nous amène à dire qu’ils sont plus exposés aux multiples risques de la récession mondiale. Face à cette situation, bien connue pour les experts, il est primordial d’identifier les failles de cette vulnérabilité économique permanente.
Il est à noter que le problème majeur de l’économie dans les pays arabes réside dans cette incapacité de construire une économie productive qui se substituera à «l’économie rentière» actuelle. La majorité des pays arabes sont devenus des distributeurs de la rente pétrolière au lieu de l’investir dans des projets créateurs de richesse. L’accumulation des réserves de change, placées dans des banques étrangères, n’a servi à rien. Pire même, avec une aisance financière exceptionnelle, les pays arabes n’arrivent pas à construire, sur des bases solides, une économie productive en dehors des hydrocarbures, capable de diminuer la dépendance de l’étranger en matière de produits alimentaires et même de la matière première pour certains secteurs industriels. Avec le temps, l’argent s’évaporise dans les caisses américaines et européennes, et ces pays se retrouvent toujours dans la case des pays consommateurs à vie!
Dans le même contexte, le problème majeur réside dans l’absence d’une politique économique avec un objectif principal qui est la mobilisation de ces ressources, notamment les ressources financières «conjoncturelles» pour la création de richesse et d’emploi. Beaucoup d’experts nationaux déplorent l’absence d’une stratégie nationale de développement économique à long terme, avec des objectifs bien précis. Ils ne cessent de critiquer les régimes qui utilisent l’argent de la rente pétrolière afin d’acheter la paix sociale ou d’encourager l’importation à grande échelle, et de financer des emplois fictifs au lieu d’encourager la création de Pme-Pmi considérée sous d’autres cieux comme le moteur de l’économie, et l’investissement dans les secteurs productifs. A chaque fois que les prix du pétrole chutent – puisque ceci est désormais cyclique – ces pays seront confrontés aux mêmes problèmes, en l’occurrence la baisse de liquidité, le ralentissement ou bien l’absence des investissements créateurs de richesse, réticence chez les partenaires étrangers, licenciements ou rareté de l’emploi, dépendance de l’étranger en matière de production, et un front social instable. Et pourtant les responsables politiques ne cessent de répéter à leurs citoyens «qu’il faut préparer l’après-pétrole», mais ils n’arrivent jamais à traduire leurs discours dans la réalité.
Mais cette situation n’est pas une fatalité puisque beaucoup de pays arabes disposent des potentialités qui peuvent leur offrir une issue de secours de ce cercle vicieux. En plus des mesures d’urgences qui seront prises pour faire face à la crise actuelle, il est inévitable de revoir beaucoup de choses dans la gestion de l’État et de l’économie. D’abord il faut revoir le rôle de l’État dans la sphère économique, l’Etat doit reprendre son rôle de «régulateur et facilitateur» au lieu de se confiner dans le rôle de «distributeur de la rente» ou encore producteur. Dans la majorité des pays arabes, la présence de l’État reste dominante dans l’économie à travers les investissements publics. Beaucoup de pays trouvent des difficultés à privatiser une entreprise relevant du secteur économique étatique. Ce processus (la privatisation des entreprises publiques) n’a pas donné les résultats escomptés pour des raisons multiples. D’abord il y a les défaillances structurelles des entreprises publiques. Ensuite il y a un front social acharné et hostile à la libéralisation de l’économie. Enfin, il y a une compétition étrangère féroce après l’ouverture du commerce extérieur et certains secteurs d’activités économiques comme les télécommunications et le transport. A cela s’ajoute une mise à niveau non réussie de ces entreprises. Or, la bonne solution réside dans une politique courageuse à l’égard des secteurs productifs et les banques de l’État peuvent financer des nouveaux projets d’investissements au lieu de continuer à injecter des fonds importants dans l’assainissement financier ou la restructuration des entreprises publiques déficitaires avec des résultats jugés médiocres.
Il faut reconnaître qu’il est difficile de parler du développement économique sans démocratie et État de droit, car il existe une interaction ou une sorte de relation concomitante entre la démocratie et le développement. De ce fait, il est impératif d’engager des réformes touchant, en premier lieu, les systèmes politiques de la région; des réformes visant à ramener plus de transparence dans la gestion des affaires publiques, construire l’État de droit, et valoriser l’intelligence et le savoir au lieu de se contenter des pratiques claniques basées sur l’allégeance au pouvoir. Un système ouvert aura plus de chance de dépasser ces failles à travers notamment les débats regroupant les différents acteurs économiques et sociaux.