Les jeux de pouvoir de l’Islam de France
Marco Cesario 11 September 2008

Pas de coup de théâtre lors de l’élection du président du Conseil français du culte musulman (CFCM) qui a élu par 40 votes sur 54 le seul candidat présent sur la liste. Il s’agit de Mohammed Moussaoui, professeur marocain de 44 ans et ex-vice président du RFM (Rassemblement des musulmans de France), qui avait obtenu 43,2% des votes lors du premier tour des élections. Le conseil d’administration a voté à 72% pour une liste unique sur laquelle figurent Moussaoui et ses trois vice-présidents, représentants des principaux courants sortis d’une élection très contestée. Il s’agit de Fouad Allaoui, vice-président et secrétaire général de l’UOIF (proche des Frères Musulmans qui a totalisé 30,2% au premier tour), de Chems-eddine Hafiz, haut responsable de la Grande Mosquée de Paris et de Haydar Nemiryurek, président du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), qui a totalisé 12,7% des suffrages au premier tour.

Le président sortant du CFCM et recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalil Boubakeur avait invité à boycotter les élections car jugées non représentatives et antidémocratiques. En effet si le deuxième tour a juste été une formalité, le premier tour a vu la participation de seulement 4.900 votants sur une communauté qui compte environ 5 millions de personnes. Sur cette base, il est légitime de se demander si les élections du CFCM sont réellement démocratiques et si ce conseil, crée ad hoc par Nicolas Sarkozy, est réellement représentatif de l’Islam de France. Ce qui laisse perplexe c’est la méthode archaïque par laquelle les électeurs sont désignés pour représenter l’ensemble des fidèles.

La lutte souterraine entre l’Algérie et le Maroc

Cette méthode se base sur les surfaces (en mètres carrés) des mosquées auxquelles appartiennent les électeurs. Cela veut dire que les grandes mosquées (comme celle de Paris, par exemple) possèdent plus d’électeurs malgré le fait qu’elles sont moins fréquentées (voir vides) par rapport aux mosquées des banlieues. Mohammed Colin, directeur du quotidien en ligne Saphirnews, avait déjà averti, lors du premier tour, qu’un Islam consulaire serait sorti des urnes et que les élections masquent en réalité une lutte souterraine entre le Maroc et l’Algérie pour avoir une influence directe sur les communautés musulmanes de France. La Fédération de la Grande Mosquée de Paris (FGMP), soutenue par l’Algérie et la Mosquée de Lyon, ont suivi le diktat de Boubakeur en refusant de participer au scrutin du premier tour. Mais la stratégie de Boubakeur n’est pourtant pas si claire. Selon ses détracteurs, le choix de boycotter les élections ne serait pas dicté par une volonté précise de revendiquer une plus grande représentativité du CFCM. Boubakeur savait qu’il ne pouvait plus compter sur le soutien inconditionnel du gouvernement français. Retirer sa propre candidature signifiait, donc, éviter une défaite certaine.

La victoire de Moussaoui

La leçon de 2005 était encore vive à ses yeux. Malgré, en effet, un quorum insuffisant, Boubakeur avait également été nommé président du CFCM par l’alors ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy. Une politique dangereuse de la part de l’ex-ministre et actuel président français parce qu’elle montre clairement que les décisions ne se font pas sur le terrain, avec les acteurs concernés, mais au plus haut niveau de l’état, dans une ‘cabine de régie’. Cette stratégie, en outre, contribue à augmenter la méfiance des fidèles vis-à-vis de cette structure et creuse un écart entre un ‘Islam institutionnel’ et un ‘Islam sur-le-terrain’ (avec tout ce que cela comporte). Brillant professeur universitaire à Avignon, en attente de recevoir la citoyenneté française, Moussaoui est tenu en grande estime par les autorités qui le considèrent comme le fauteur d’un Islam respectueux des textes fondateurs et surtout « contextualisé ». Il parle français, arabe, berbère et anglais et, effectivement, représente aux yeux de l’opinion publique un Islam éclairé. Mais le choix d’élire Moussaoui, comme le choix de Boubakeur à l’époque, reflète une stratégie politique des autorités françaises peureuse et peu visionnaire.

Il s’agit de tranquilliser, d’un côté, l’opinion publique en choisissant un homme de haut profil. De l’autre, le gouvernement s’efforce de catalyser et neutraliser les courants les plus extrêmes en intégrant, dans « l’Islam institutionnel », une force, comme l’UOIF, minoritaire mais très dangereuse par ses positions. Le résultat est évident. Le CFCM apparaît comme une institution vide et très loin des communautés qu’elle est censée représenter. Sur elle, pèse lourd une élection décidée quelque part à l’Elysée. Sur cette base de fragilité, Moussaoui, réussira-t-il à ‘gouverner’ une des plus vastes communautés musulmanes d’Europe ? Réussira-t-il à se porter garant des droits des musulmans tout en faisant respecter les lois de la République ? Difficile, à ce stade, de donner une réponse positive. A Moussaoui, la ministre de l’intérieur Michelle Alliot-Marie a confié la tâche de garder vif l’esprit « d’union et de concorde de tous les musulmans de France » mais aussi de gérer des dossiers sensibles comme l’organisation des pèlerinages vers La Mecque, le contrôle de la qualité de la viande hallal et la construction de mosquées. Moussaoui voudrait, quant à lui, donner un nouvel élan au CFCM, rationaliser l’organisation des fêtes religieuses et se pencher sur le nœud non résolu de la formation des imams. Mais il devra aussi résoudre un autre problème, pas moins épineux. L’UOIF est devenue, d’un coup, la deuxième force du CFCM. Une réalité qui donne des frissons à l’opinion publique française.

Le rôle de Sarkozy

Fiammetta Venner, journaliste, qui a consacré à un livre à ce sujet (OPA sur l’Islam de France : les ambitions de l’UOIF), semble vouloir indiquer la politique de Sarkozy comme la principale responsable de la montée en puissance de ce groupuscule. « Tous les gouvernements qui ont essayé d’institutionnaliser l’Islam de France– a-t-elle dit à Reset – se sont arrêtés car ils ont compris que cela signifiait donner des gages à l’intégrisme religieux et à certains groupes qui ont une vision radicale de l’Islam. Dans tous les ministères qui se sont occupé du sujet, il y avait toujours des intellectuels musulmans, des libéraux et même des conservateurs qui disaient de faire attention. La dernière tentative a été celle du ministère de Nicolas Sarkozy qui voulait impérativement réussir là où les autres avaient échoué. Il a ainsi commis deux erreurs. La première est d’organiser des élections. Pourquoi ne pas créer un conseil avec des experts issus du monde musulman pour donner un avis sur les problèmes les plus épineux ? A partir du moment où il y a des élections, les gens se disent « élection ça vaut dire être représentatif ». On considère donc les gens qui ont été élu comme représentatifs des musulmans de France alors que ce n’est pas le cas. La deuxième erreur a été de choisir comme base de représentativité les surfaces en mètres carrés des mosquées. Or, cela n’empêche pas des groupuscules intégristes et des islamistes radicaux de construire en dehors des villes des grandes mosquées, souvent vides, mais qui font peser leurs mètres carrés sur les élections. Pour cela nous pouvons dire que les élus de l’Islam de France ne sont pas les représentants de l’Islam de France mais les représentants du nombre de mètres carrés des mosquées ».

L’UOIF et les Frères Musulmans

Selon Venner (et la majorité des experts en matière), l’UOIF est un mouvement dangereux car proche des positions des Frères Musulmans. Dans un reportage publié récemment par l’Express, intitulé « La face cachée de l’UOIF », deux journalistes reconstruisent l’histoire sombre d’un groupuscule d’activistes en exil devenu, malgré le nombre très exigu d’inscrits, une des forces les plus importantes de l’Islam de France. Un autre paradoxe de la gestion Sarkozy qui, dans la tentative de le neutraliser, l’a indirectement promu interlocuteur privilégié de l’état. Le premier à pointer le doigt contre l’UOIF a été le Centre Simon Wiesenthal. Dans un rapport très détaillé, le Centre Simon Wiesenthal a souligné les liens étroits qui existent entre l’UOIF et les Frères Musulmans. Le trait d’union est le cheik Youssef al-Qaradawi, mentor spirituel de l’UOIF et idéologue proche des positions d’Hamas. Selon ce même rapport, l’UOIF financerait le Hamas à travers le fond charitable palestinien CBSP (Palestinian Charitable and Relief Committee).

Qaradawi serait, en outre, l’inspirateur d’une stratégie, propre aux Frères Musulmans, visant à islamiser toute l’Europe. Qaradawi est à la fois président du Conseil européen pour la Fatwa et la recherche (inauguré à Londres en 1997) et président du conseil scientifique de l’Institut Européen des sciences humaines (EIHS). L’EIHS est un centre d’instruction pour la formation des imams d’Europe mais est aussi une branche du FIOE, la Fédération des organisations islamiques d’Europe. Mais ce qui inquiète le plus dans ce personnage, ces sont les liens établis entre lui et la banque Al-Taqwa. Une banque que les experts de terrorisme connaissent très bien parce qu’elle a financé des opérations terroristes pour le compte d’Al-Qaida. Ses fonds ont été congelés le 7 Novembre 2001 par le gouvernement américain. A la suite de cette opération, Qaradawi a été déclaré persona non grata aux USA. Et pourtant, Qaradawi peut circuler librement en Europe et surtout en France où il a été à plusieurs reprises invité par les dirigeants de l’UOIF lors du sommet annuel du Bourget.

Aujourd’hui l’UOIF, avec son 30,2% de votes obtenus lors du premier tour, ‘représenterait’, au niveau électoral, un tiers de la population musulmane (environ 1,5 millions de personnes) alors qu’il ne compte réellement qu’environ 20.000 inscrits ! La géographie de l’Islam institutionnel n’a donc plus rien à voir avec la réalité des choses et reflète plutôt une sclérose de la politique. Rien d’étonnant, donc, si un grand pays d’immigration comme la France continue, malgré ses atouts, à gérer l’intégration religieuse à la manière d’un état colonial. La peur et la méfiance sont toujours au rendez-vous au pays des droits de l’homme.

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