Algérie, marche forcée vers la mondialisation
Mahmoud Belhimer 28 May 2008

On dit souvent, ici en Algérie, que nous disposons à l’heure actuelle d’un terrain très favorable pour régler nos problèmes économiques et sociaux, arrimer notre économie à l’économie mondiale, et, bien entendu, se prémunir des effets négatifs de la mondialisation. Un vent d’optimisme souffle sur le pays grâce à l’embellie financière qu’il connaît depuis près de sept ans, due essentiellement à la flambé des prix du pétrole, qui s’approche du seuil de 130 dollars/baril, et à l’éradication presque totale du terrorisme. Mais, on oublie souvent de s’interroger : ou en sommes nous, par rapport à ce phénomène de mondialisation ? L’Algérie arrive-elle à s’accrocher au train, déjà en marche, de la mondialisation ? Sommes-nous victimes ou bénéficiaires de la dynamique créée par l’amplification de ce phénomène planétaire ?

D’abord, méthodologiquement parlons, il est difficile de trouver un instrument pour mesurer avec exactitude les effets, négatifs ou positifs soient-ils, de la mondialisation. Cette difficulté est dictée notamment par l’absence d’organismes nationaux crédibles et fiables de statistiques et d’études prospectives. Mais il est possible de se faire une idée, en se basant sur notre rôle dans cette dynamique d’échanges dans tous les domaines, qui anime la planète entière. De quel espace, aussi petit soit-il, disposons nous dans ce gigantesque mouvement des biens, des services, des technologies, des industries culturelles, etc. ? A mon avis, le constat est effrayant ! A l’heure actuelle, nous continuons à fonctionner avec un système qui trouve des difficultés à s’arrimer au monde qui l’entoure pour y vivre en harmonie et en osmose avec lui, parce qu’il puisque n’arrive pas, en général, à intégrer cette donne qui s’impose à l’échelle planétaire : la mondialisation.

Certes, on constate qu’au niveau du discours politique beaucoup de choses ont changé : on a réussi à se débarrasser des concepts staliniens de l’époque soviétique qui diabolisaient toute ouverture envers le monde extérieur, l’Occident en particulier, et qui noircit le tableau de l’environnement international avec ses valeurs de privatisation, d’économie de marché, de flux de capitaux, de commerce libre des services, des biens industriels et de consommation, et même des produits culturels. Aujourd’hui, nous reconnaissons, malgré nous, que « le village planétaire », si j’ose reprendre le terme du célèbre MacLuhan, est à nos portes et qu’il faut trouver les voies et moyens idoines pour se frayer une place dans un monde en perpétuel changement. Mais entre le discours et la pratique il y a un grand fossé. Le paradoxe chez nous, c’est que «on prend les mêmes et on recommence», comme disait l’adage populaire, puisque les mêmes défenseurs zélés du socialisme sont devenue, ironie du sort, les chantres du libéralisme et de l’économie de marché.

Et pourtant, nous sommes déjà entré de plein fouet dans la mondialisation ; mieux encore nous en subissons les effets en sujets passifs et non en acteurs. Des produits de large consommation et des biens d’équipements qui débarquent sur nos ports, de la main-d’œuvre étrangère, chinoise essentiellement, qui envahit nos chantiers, des capitaux et des investissements étrangers qui s’installent dans le pays, malgré leur nombre restreint comparativement à nos voisins tunisiens et marocains, des produits culturels standardisés sont consommés chez nous. Même le terrorisme n’est plus un phénomène local car l’Algérie devait intégrer de facto « The global war on terror » imposée par les Etats Unis d’Amériques et ses allies après les événements du 11 septembre 2001. Sur ce point particulier, Alger semble devenir la Mecque de « l’antiterrorisme » après avoir été celle du « tiers-mondisme » dans les années 1970. Et elle ne cache pas savourer un brin de victoire sur son sort, peu enviable, lorsque personne ne lui prêtait d’oreille attentive durant la décennie « noire » vécue depuis 1990.

Il n’y a une rien de typiquement algérien à souligner l’aisance financière sans précédent que savoure le pays avec plus de 110 milliards de dollars de réserves de change, des recettes d’exportations d’hydrocarbures qui atteindront 80 milliards de dollars à fin 2008 et une dette extérieure réduite par le remboursement anticipé à la portion congrue de 5% du PIB. C’est le lot de tous les pays pétroliers. Ce qui spécifiquement algérien vient du contraste entre ces ressources, inégalées dans son histoire, et la persistance d’une situation sociale inquiétante liée principalement à la mauvaise répartition des richesses et à la lenteur dans la mise en œuvre des réformes économiques. L’Algérie est devenue, en effet, un pays riche avec une population pauvre. On est devenu de simples exportateurs de richesses, de capitaux, puisqu’on a importe pour une valeur de 27 milliards de dollars en 2007 de compétences de l’étranger.

On s’est également installé dans un schéma de société de consommation extravertie puisque notre appareil de production industriel est à l’arrêt depuis l’abandon des options productivistes. On reste un pays mono exportateur d’hydrocarbures qui représentent 97% de nos recettes annuelles en devises. Cependant, le taux de chômage avoisine, selon les chiffres officiels, 13% en 2007 et le nombre de personnes vivant au dessous du seuil de pauvreté est estimé, selon le PNUD, à prés de 10 millions de personnes (sur une populations de 35 millions) en 2007. Le défi de l’Algérie se pose en termes de recyclage de la manne financière générée par la rente pétrolière en véritable machine productrice de richesses durables via, notamment, le développement des secteurs des services, du tourisme et de l’agriculture. Autrement dit, on devrait réapprendre à travailler au lieu de rester dépendant de la rente pétrolière. L’Algérie demeure le seul pays membre de l’OPEP, après la Libye , qui n’est pas encore membre de l’OMC. Elle négocie toujours son accession depuis plus de 10 ans et ne semble pas prête à y adhérer de sitôt si l’on tient compte du retard cumulé dans la réforme des textes législatifs et réglementaires régissant l’activité économique, qui reste loin des standards universels. Ses négociations avec l’OMC, qui sont à leur 11e round achoppent sur l’épineuse question des prix intérieurs de l’énergie, dix fois inférieurs à ceux du marché mondial. Encore une fois, l’Algérie préfère fonctionner avec une économie en dehors des normes et des standards universels; il faut juste voir notre système bancaire pour se rendre compte de l’amer constat de son délabrement.

Certes, nous avons tiré profit de l’évolution technologie à travers notamment la démocratisation de l’utilisation du téléphone mobile et de l’Internet ainsi que de l’accès aux programmes des chaînes satellitaires étrangères. Les Algériens sont beaucoup plus réceptifs aux informations diffusées par les chaînes satellitaires étrangères qu’à la propagande officielle orchestrée par la télévision «unique» algérienne malgré ses trois chaînes. Ce qui a contribué à l’épanouissement culturel et social de la population en offrant «un voyage sans visa» vers les différents coins du monde en s’informant davantage sur leur culture, mode de vie, système politique et économique ainsi que leur modèle de gestion sociale. Les nouvelles technologies de l’information ont permis de présenter la véritable facette de notre société et de contribuer à la prise de conscience quant à la nécessité de changer l’état actuel des choses.

Cette ouverture sur le monde extérieur au moyen des nouvelles technologies de l’information renferme par ailleurs certains aspects négatifs, comme la perte des valeurs ancestrales et morales chez les jeunes, qui sont souvent à l’affût des nouveautés déversées par les chaînes satellitaires étrangères sans tenir compte de notre spécificité religieuse et culturelle. Il y a aussi une réelle crainte de voir les cultures et traditions locales disparaître au profit de modèles culturels occidentaux. En l’absence de production culturelle locale capable de faire face au flux massif, ou à « l’invasion culturelle » de l’Occident, on continue toujours à être des consommateurs assoiffés de produits culturels étrangers. Les répercussions sont devenues perceptibles sur plus d’un stade. Il suffit juste de voir au niveau de la langue de communication utilisée aujourd’hui par les jeunes Algériens. Une langue qui se compose à la fois d’un mixage d’arabe et de français, mais aussi de berbère et même d’anglais. La réforme du rôle de l’Etat dans l’économie, le revalorisation des compétences Algériennes et du savoir, la diversification de l’économie algérienne, la répartition équitable des richesses sont, à mon avis, les principaux instruments de réussite du processus d’intégration de l’Algérie à la mondialisation et le moyen de lui permettre de se frayer une place respectable sur la scène internationale.

Mahmoud Belhimer est rédacteur en chef adjoint du quotidien Algérien ELkhabar, « premier quotidien Algérien, en langue arabe, avec un tirage de plus de 500000 exemplaire par jour », poste qu’il occupe depuis juin 2002. Il participe à la gestion et à la dynamisation de l’équipe rédactionnelle de ce journal, en plus d’écrire des billets à la dernière page sous la rubrique « Moudjeradrai ». Belhimer est titulaire d’une licence en sciences politique et relations internationales de l’université d’Alger, en juin 1991, puis, il a soutenu une thèse de magistère en sciences politique, en juillet 2002. Il prépare actuellement une thèse de doctorat à l’université d’Alger sur : « La transition démocratique en Algérie ».

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